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Apprenti marin : une toute nouvelle vie à Toulon, et une expédition en Tunisie.

Parti le 21 mars 1881 de Jaujac, Émile arrive à Toulon le lendemain. Il est incorporé à la caserne du 5ème dépôt des équipages de la flotte.

Dès les premières formalités administratives et d'aptitude médicale effectuées, Émile est astreint à l'instruction de base du marin : exercices physiques, gymnastique, maniement des armes, pratique de l'aviron. Après deux semaines, le 5 avril, il est affecté comme apprenti marin sur l'Intrépide. Il a droit à toutes sortes de corvées à quoi s'ajoutent quelques brimades et plaisanteries qui amusent ses camarades plus que lui ; mais très rapidement il comprend que la meilleure manière de s'en sortir consiste à ne pas se faire remarquer et à établir de bonnes relations de solidarité avec ses camarades de bordée.

L'Intrépide est un vaisseau rapide dont la construction a débuté en 1853 à Rochefort. Mais son achèvement a tellement tardé qu'il sera dépassé avant d'être mis à flot. Il est donc transformé sur cale en navire de transport en 1863 et lancé le 17 septembre 1864. Ce bâtiment de 71 mètres a un tirant d'eau de 5160 tonnes ; construit en bois, il développe 2010 m2 de voiles et dispose en plus de 8 chaudières pour une propulsion à hélice qui lui permet d'atteindre la vitesse de 12 nœuds. 340 hommes forment l'équipage. C'est une véritable caserne flottante qui peut héberger plus de 400 soldats, des chevaux et des marchandises, avec toute l'intendance nécessaire, cuisines, infirmerie. De décembre 1866 à juin 1867, il effectue le rapatriement du corps expéditionnaire du Mexique.

L'Intrépide

Prise de Sfax.

Jules Ferry, républicain opposant à l'Empire, auteur des lois sur l'instruction publique obligatoire et gratuite, devient président du Conseil en septembre 1880. Il s'engage pour l'expansion coloniale française. En Afrique du Nord, la frontière de l'Est de la province de Constantine est régulièrement violée par les Kroumirs (tribus berbères de la région montagneuse entre Algérie et Tunisie) : au début de 1881 Jules Ferry décide d'y rétablir l'ordre et de s'emparer de Bizerte. Mais à la mi-juin, une insurrection générale éclate dans le Sud tunisien. Le 2 juillet Ali ben Khalifa, le "bey des insurgés" entre dans Sfax avec une troupe de nomades et enlève le drapeau de la Régence. Il fallait donc agir et envoyer des troupes pour reprendre Sfax. Une partie vient d'Algérie alors que 400 hommes cantonnés à Lyon sont dirigés à Toulon le 8 juillet et embarqués sur l'Intrépide. Le navire, sur lequel se trouve le jeune Émile, traverse la Méditerranée et fait escale à La Goulette, dans la baie de Tunis, pour embraquer une batterie de montagne. Il arrive devant Sfax le 13 juillet en même temps que l'escadre de la Méditerranée commandée par l'amiral Garnault qui avait reçu l'ordre de prendre la ville. Le 14 juillet fut un grand jour pour l'escadre réunie : on hissa le grand pavois sur tous les navires et on tira une salve de 21 coups de canons pour la fête nationale, tandis que l'on préparait l'attaque prévue le lendemain à 6 heures du matin. En première ligne 5 canonnières sont positionnées à 1 nautique (mille marin), en deuxième ligne, à 2 nautiques, 3 corvettes s’apprêtent à débarquer les fusiliers marins, et en 3ème ligne 6 cuirassés constituent l’artillerie lourde qui doit bombarder la ville avant le débarquement ; à l’arrière, à 3,5 nautiques, sont positionnés les vaisseaux de transport. Autant dire qu'Émile n'aura pu que voir la fumée et entendre les coups de canons : sous un feu lent et régulier 2000 projectiles sont lancés sur la ville pendant une douzaine d'heures . A la longue-vue on aperçoit une haute tour touchée dont le sommet disparaît dans une épaisse fumée. Pendant ce temps, à bord des bâtiments les troupes sont inspectées et les canots sont armés en guerre avec des mitrailleuses. Sur l'Intrépide les instructions de détails sont données. Les 1200 fusiliers-marins débarqueront les premiers le 16 juillet au lever du soleil lorsque la frégate cuirassée d'escadre Colbert, le vaisseau amiral, aura tiré un coup de canon pour donner le signal. A 11 heures du matin la ville est prise. L'escadre a perdu une douzaine d'hommes et rapatrie 70 blessés sur les navires. Dès le 23 juillet l'escadre se met en route vers Gabès puis vers l'île de Djerba. Le 25 juillet l'Intrépide est envoyé à Sfax pour chercher deux bataillons de renfort. Une fois les opérations terminées, le gros de l'escadre appareille vers le nord.

Commentaires d'Émile : Quand je suis arrivé au 5ème dépôt, j'avais dans mon sac 4 petits pots de crème de marrons que ma tante m'avait offerts en quittant Jaujac. À mon arrivée à Toulon, je les avais placés au dessus de mon étagère dans la chambrée. Mais le troisième jour les pots qui étaient toujours là, avaient été vidés. Quelqu'un s'était servi sana vergogne : je n'ai jamais su qui était l'auteur de ce larcin mais j'entendais qu'on m'avait surnommé "châtaigne". Parfois, au rapport lorsqu'on était au garde-à-vous en silence pour recevoir les consignes de la journée, j'entendais murmurer dans mon dos : "châtaigne, châtaigne..." puis quelques rires étouffés. A la fin juin nous fûmes subitement tous consignés à bord de l'Intrépide, dans le bassin Vauban. Le navire est alors chargé de charbon et de subsistances ; les citernes sont remplies d'une quantité d'eau que je n'imaginais pas, enfin je vois embarquer de la paille et du foin pour les chevaux. Mon camarade quartier-maître me fait remarquer la ligne de flottaison qui s'enfonce progressivement dans le bassin. Puis arrivent les troupes de Lyon, avec chevaux, armes et bagages, et c'est le départ. Nous passons la Tour royale et tirons droit sud-sud-est sous un ciel d'un bleu profond avec un léger mistral ; puis le Mont Faron disparaît totalement de l'horizon. Dès la première nuit à bord la mer forcit et le vent sifflait de plus en plus fort dans les agrès. J'avoue que j'ai eu du mal à dormir cette nuit là : était-ce le vent, la houle, la promiscuité de la chambrée, les craquements du bastingage ou l'appréhension de cette première opération de guerre ? L'Intrépide était un bâtiment immense et magnifique dont les voiles gonflées par la brise m'impressionnaient plus que le rocher d'Abraham, ce belvédère des Cévennes ardéchoises qui domine Jaujac. Lors de la prise de Sfax je suis resté à bord de l'Intrépide qui avait jeté l'ancre à 3,5 nautiques (6 kilomètres) de la ville assiégée, pour assurer la corvée de nettoyage des ponts. Le 16 juillet dans l'après-midi je fus réquisitionné pour débarquer les blessés des chaloupes qui revenaient de Sfax et les brancarder jusqu'à l'infirmerie de l'Intrépide. Certains étaient dans un état critique, blessures de sabre et de baïonnettes, traumatismes crâniens, membres déchiquetés par les balles de mousquets. Mais nous avions d'excellents chirurgiens de la marine. J'ai su aussi qu'il y avait eu beaucoup plus de pertes parmi les insurgés. Et lorsque nous sommes rentrés à Toulon c'en était fini pour moi des mauvaises plaisanteries et des chicanes. J'avais subi l'épreuve du feu, seul m'était resté mon surnom de "châtaigne" qui tout compte fait, pour un ardéchois, ne m'allait pas si mal. Des années après, en 1893, une loi a crée la médaille coloniale, et celle-ci m'a été attribuée pour cette campagne de 1881.

Médaille coloniale avec agrafe Tunisie


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