Bonne et heureuse année 1916
suite du post du 26 mars 2017.
Voici déjà 18 mois que la Grande Guerre fait rage en Europe et, en ce début d'année 1916, chacun envoie ses cartes de vœux à la famille et aux amis : des souhaits pour la victoire, la paix et le retour des poilus.
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Mais revenons quelques années en arrière à propos de Camille Vincent Vidal. Après quelques mois de formation de fourrier au 5e dépôt des équipages, il a été embarqué successivement sur la canonnière cuirassée Phlégeton, sur le cuirassé garde-côtes Henri IV puis sur l'imposant croiseur cuirassé Waldeck-Rousseau. En Tunisie, alors qu'il était probablement sur Henri IV, il sera atteint du choléra. Un télégramme adressé à sa mère sera mal interprété et il passera pour mort. Peu de temps après, son frère, l'abbé Auguste Vidal, demandera à sa mère et à sa sœur éplorées : « l’avez-vous lu ce télégramme ? ». « Non ». Que disait-il : matelot Camille Vidal très malade, prévenir la famille avec ménagement.
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Les fourriers du Waldeck-Rousseau.
Cherchez le visage de Camille !
Quelques mois plus tard, Camille profite d'une escale à Toulon et d'une permission pour revenir à Jaujac et déclarer sa flamme à Hélène, la fille de "l'Amiral". De retour à Toulon le 25 février 1912, il envoie à Hélène cette carte :
"Ma bien chère Hélène,
dans quelques jours je vous donnerai de plus longs détails sur ma situation. Je suis arrivé ce matin en bonne santé. Tout me fait prévoir que je ne ferai pas un long séjour au dépôt et je compte bien l'avoir quitté avant la fin de la semaine. Hier avant de partir je vous ai envoyé une carte de la gare de Lalevade, je pense que vous l'avez reçue. J'ai passé une bonne journée, j'ai fait une longue promenade à travers Toulon, on aime à visiter les lieux qui se rappelaient un peu lointains à mon souvenir.
Mes amitiés à vos chers parents et à vous ma chère Hélène mes plus tendres baisers.
Celui qui vous aime bien.
Camille."
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La carte postale de Camille à Hélène, 1912
Depuis le mois de mars 1915, alors qu'il est second maître fourrier, il embarque sur le croiseur cuirassé Jules Michelet. Rappelons nous qu'il a servi sur Henri IV qui porte le nom de l'un des plus grands rois de l'histoire de France et maintenant il est sur celui qui porte le nom d'un historien de grande renommée. Camille qui sera toujours un passionné et féru d'histoire doit être très fier de ces embarquements. Dans la famille il se disait que Camille avait participé à la bataille des Dardanelles en 1915, et aussi qu'au moment de rentrer en permission à Toulon, il avait cédé sa place à un autre marin qui languissait de rentrer chez lui au pays. Le navire fut torpillé et l’équipage perdu. Camille réalisa qu’il venait une fois de plus d’échapper à la mort. En avril-mai 1916, le Jules Michelet participa à l'évacuation de l'armée Serbe sur Thessalonique.
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Le croiseur cuirassé Jules Michelet
Voici maintenant, en l'année 1916, ce que vivent des poilus qui ne se connaissent pas mais qui auront en commun des descendants d'Émile Bardine ; certains d'entre vous y reconnaîtront un grand-père ou un arrière grand-père.
Adrien Michalon a 32 ans en 1916 ; il a laissé, le 2 août 1914, sa femme, ses jeunes enfants et sa fabrique de rubans à Saint Étienne. Depuis avril 1915 il est aux armées (sur le front) au 53e régiment d'artillerie, peut-être dans la Somme ou à Verdun.
Fernand Prosper Bonnet, né à Montfort-sur-Argens dans l'arrière pays varois, a été surpris par la guerre alors qu'il faisait ses études de médecine à Bordeaux ; mobilisé comme médecin auxiliaire dans la Marine, il se trouve à à l'hôpital de l'Achilléion sur l'île grecque de Corfou, pour prendre en charge les blessés du front d'Orient. Il ne pourra terminer ses études et soutenir sa thèse de médecine qu'en 1919.
Auguste Mounier, né à Saint-Jean-le-Centenier, en Ardèche, a 20 ans lorsque la Grande Guerre éclate. Ses parents âgés s'occuperont de la propriété agricole qu'il partage avec son frère. Il est mobilisé dans l'infanterie et son régiment, le 60e RI, se trouve à Verdun en février 1916. Au matin du 21 février un déluge de feu s'abat sur les lignes françaises : en deux jours 2 millions d'obus lourds tombent sur leurs positions. Après trois jours d'enfer, le 24 février, Auguste est fait prisonnier ; il ne rentrera d'Allemagne que le jour de Noël 1918. Pendant ce temps le jeune Gaston Bollard qui a à peine 12 ans, vit cette guerre entre le village de son grand-père près d'Aix-les-Bains en Savoie et Thonon-les-Bains où son père travaille au chemin de fer ; il voit les hommes qui partent au front et en même temps il entend les mauvaises nouvelles qui tombent régulièrement avec l'annonce de décès des soldats du pays. A des milliers de kilomètres de là, à Oran en Algérie, Georges Julié, 14 ans, éprouve les mêmes sentiments de tristesse et de stupeur face aux évènements de cette guerre mondiale qui touche la mère patrie.
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Les vignes en terrasses de la Cévenne ardéchoise, comme devaient être celles d'Émile
Commentaire d'Émile.
Cette année 1916 a été des plus dures ; elle a rapidement tourné au cauchemar quand j'appris en février que le cuirassé Amiral Charner sur lequel j'avais servi trois ans, avait été coulé au large de Beyrouth. Au matin du 8 février le sous-marin allemand U21 torpilla le cuirassé : en quelques secondes ce puissant navire de 110 mètres de long se changea en un lourd édifice de 5000 tonnes d'acier sans ligne de flottaison ; il piqua du nez et chavira aussitôt. Il disparut définitivement de la surface de la mer en deux minutes. Des 415 officiers et hommes d'équipage, il n'y eut qu'un seul survivant, un seul témoin de cette tragédie : mes camardes disparus hantent mes nuits et mes pensées.
Au mois d'avril mon beau-frère, le sous-lieutenant à titre temporaire Camille Chabert, nous a fait savoir que son régiment d'artillerie s'était distingué lors d'une offensive à Verdun. Puis, mauvaise nouvelle, il disparait en juin lors d'une attaque allemande. Quelques semaines plus tard nous apprendrons qu'il n'a été que blessé et fait prisonnier en Allemagne. Sa sœur, Célina, est soulagée et inquiète à la fois.
Mais décidément cette année sera tragique car en août 1916 nous apprenons que Louis Bardine, le fils de mon cousin bien aimé, a été blessé mortellement à Verdun, lui aussi. Il avait 35 ans. C'est lui qui s'était chargé de l'exploitation de la propriété à la mort de mon père avant que je revienne à Jaujac. Toute la famille et presque tout le village, avec même quelques anticléricaux, se sont retrouvés à l'église pour un moment de prière. La communauté villageoise de Jaujac attristée fait bloc ; la liste de ses jeunes soldats disparus ne cesse de s'allonger. Je vois bien aussi qu'Hélène est tourmentée pour son Camille. Je vais retourner dans mes vignes en redoublant d'efforts et d'attention pour que la récolte soit plus belle. Après les vendanges je surveillerai avec plus de minutie encore les paramètres de la fermentation des cuves et la mise en barriques pour garder longtemps cette cuvée 1916 avec ses arômes puissants de fruits rouges. Je me demande aussi quel métier pourrais-je conseiller à Lucien qui a 14 ans : la Marine ? Marie-Célina n'approuve pas. Ou alors l'agriculture ? Que sais-je ? Cet hiver il m'aidera à la taille des vignes.
En fin d'année un peu de bonheur et d'espoir en l'avenir nous sont donnés avec l'annonce du mariage d'Hélène et Camille. Que 1917 soit une meilleure année et que nos poilus tiennent bon !
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Le mariage d'Hélène et Camille, le 10 mars 1917, et toute la noce (17 personnes au total).