"L'Amiral" se retire à Jaujac.
suite du post du 23 février 2017.
Trois cents mois au service de la Marine française, c'est l'engagement qui permet de bénéficier d'une pension de retraite ; c'est le temps qu'Émile a accompli du 8 mars 1881 au 8 mars 1906 (25 années). Il ne fera pas un jour de plus et demandera sa pension pour quitter définitivement Toulon et rentrer s'installer au mas de La Roche à Jaujac. Quelques mois avant de partir, à l'été de 1905, le président de la République, Émile Loubet, lui a conféré la "médaille des braves" : c'est-à-dire la médaille militaire qui a pour devise "valeur et discipline". Elle lui a été remise devant le front des troupes. En 1905 également, la mère d'Émile est décédée tandis que sa belle-mère se trouvant seule souhaite vendre le café Chabert. Tout cela décide Émile à demander sa pension de la Marine. Cela lui permettra de s'occuper de l'éducation de ses enfants Hélène, 8 ans et Lucien, 3 ans, qui sont en nourrice à Jaujac. Toute la famille, le couple Emile-Marie-Célina, les enfants et leur grand-mère Célina Chabert, s'installe en 1906 au mas de La Roche.
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Émile Bardine, premier-maître canonnier en 1906.
Il y a peu d'années, les anciens de Jaujac utilisaient encore le surnom de l'amiral, pour parler d'Émile Bardine. Pourquoi ce surnom lui fut-il attribué après son retour en 1906 : il y a un brin de moquerie ou de l'admiration et du respect pour son parcours extraordinaire sur les mers du globe. Il est probable qu'il dut quelques fois arborer son bel uniforme de cérémonie avec toute la prestance qui convient, lors d'un évènement sur la place du champs-de-mars, à la mairie ou à l'église, comme on le voit sur la photographie ci-dessus, avec sa belle moustache et barbichette à la mode du Second Empire. Mais ce surnom qui pouvait le flatter, ne lui plaisait qu'à moitié, car il savait bien que dans la Marine de la Troisième République il y avait une distance sociale considérable entre un officier marinier et un officier de Marine, et pour lui un Amiral était un personnage inaccessible.
Le commentaire d'Émile.
Alors que j'avais hérité du mas de La Roche au décès de mon père en 1898, je confiai l'exploitation des terres à Louis Bardine, le fils de mon cousin germain, alors âgé d'à peine 18 ans. C'était une solution d'attente mais je n'avais qu'une idée en tête : retourner à Jaujac dès que je pourrai pour m'occuper de ma famille et de la propriété, notamment des vignes qui montent à mi-coteaux derrière la maison, en terrasses retenues par des murettes de pierre.
Maintenant que je suis pensionné il y a quelques fois de jeunes hommes qui viennent me questionner sur ma carrière dans la Marine ; c'est ainsi que je rencontrai un certain Camille Vidal, natif de Niègles, travaillant depuis l'âge de 13 ans dans les mines de charbon de Prades pour subvenir aux besoins de sa mère. Il cherche un avenir meilleur et pense que je pourrai l'aider à y voir plus clair. Je remarquai vite son caractère déterminé et courageux. Je constate qu'il manie la plume sergent-major avec dextérité et qu'il a une soif d'apprendre assez peu commune. Il est rare en effet qu'un ouvrier de 18 ans aille chercher à Aubenas des livres assez ardus qu'il lit et annote de sa main : les Pensées de Blaise Pascal ou le Traité de physique élémentaire d'Édouard Branly. Aussi je lui parle de la Marine, je le conseille, je lui donne quelques adresses, en particulier celle du second maître Jean François Floch que j'avais pris sous ma protection quand nous étions sur le Redoutable. Finalement Camille part à l'âge de vingt ans avec trois pièces d'or dans la poche : une pour les frais de voyage à Toulon, la deuxième pour assurer son séjour sur place le temps de trouver une opportunité d'engagement dans la Marine, et la troisième pour revenir à Niègles en cas d'échec. Quelque temps plus tard il m'enverra une carte de Toulon pour m'annoncer fièrement qu'il a été recruté dans la Marine avec la spécialité de fourrier ; les fourriers sont chargés des «écritures» et de la comptabilité à bord des bateaux (soldes, gestion du matériel, vivres, frais de déplacements). De par leur formation et leur savoir-faire, ils sont considérés comme les meilleurs comptables dans les armées.
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Notre existence s'est stabilisée au mas de La Roche ; nos enfants grandissent et j'essaye de leur donner les grands principes de la vie : le travail bien fait, le respect des autres, de l'autorité et des adultes, l'ardeur à l'étude, la propreté et l'hygiène, l'économie domestique, la fidélité et la générosité, le sens du partage ; mais cela est finalement plus difficile que de diriger une bordée de matelots à la manœuvre. Marie-Célina s'occupe de leur éducation religieuse.
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Hélène (18 ans) et Lucien (10 ans) en 1912
Je ne manque pas de leur parler de nos origines familiales qui remontent loin dans le temps à Jaujac. Les Bardine ont été une grande et nombreuse famille du quartier de La Roche. Mon père Auguste Bardine, propriétaire à La Roche, et ma mère Marie Peyreplane, tous deux de Jaujac, se sont mariés en 1855. Mon frère aîné ne vécut que deux ans, ma soeur avait quatre années de plus que moi et mon jeune frère six ans de moins. Ma soeur s'est mariée à Jaujac avec Jovite Valette, un gendarme d'Antraigues qui est revenu ensuite comme cafetier à Jaujac. Celle que l'on appelait la tante Valette aimait particulièrement les biscuits Brun. Mon jeune frère a quitté Jaujac très tôt et n'y est jamais revenu. Je n'ai pas connu mon grand-père, Mathieu Bardine, propriétaire à La Roche qui était premier adjoint au Maire. Mon arrière grand-père, Pierre Bardine était cultivateur (cliquez ici). Du côté de mon épouse les Chabert et les Sabaton étaient aussi une vielle famille de Jaujac. Une particularité qu'il faut connaître mais dont on ne parle pas en famille, c'est que ma belle mère portait le nom de jeune fille de sa mère, Berger, car son père qui pourtant s'est occupé avec attention de son éducation, ne l'a jamais reconnue sur des registres d'état-civil.
Le commentaire de Dominique
La qualité de cultivateur inscrite sur l'acte de décès de Pierre Bardine en 1802 m'a poussé à étudier le quartier de La Roche dans le cadastre napoléonien (1813). En effet à la fin de l'Ancien régime et sous la Révolution française, le cultivateur est l'exploitant d'une propriété agricole. Parmentier et ses collègues de la société d'agriculture de la Seine (ancêtre de l'Académie d'agriculture) ne publient-ils pas une Feuille du cultivateur destinée aux agriculteurs. Le plan cadastral nous donne une idée de ce que pouvait être la propriété Bardine, un modèle de propriété agricole de cette époque : dans le bas, devant les bâtiments de la ferme, les prairies (p) et terres à grains (t), à mi-coteau les vignes (vig), et dans le haut de la colline les essarts pour les coupes de bois et les piquets de vigne ou de clôture.
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Quartier de La Roche en 1813
Tout cet ensemble a ensuite été très morcelé à partir de 1838 en raison des partages entre les nombreux Bardine ; aujourd'hui les villas résidentielles ont mangé les prairies et les taillis sont descendus sur l'emplacement des vignes que cultivait Émile." Les vignes, elles courent dans la forêt, Le vin ne sera plus tiré, C'était une horrible piquette." Une route D19 a été construite au bas de la propriété : cela surprendra peut-être ceux qui connaissent Jaujac aujourd'hui.
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Quartier de La Roche en 1813 et en 2017
Il y a aujourd'hui un chemin Bardine qui monte vers une grosse ferme (celle qui est isolée en haut à gauche sur le plan cadastral de 1813). Pour aller plus loin dans cette recherche sur la propriété Bardine, il faudrait étudier les registres de notaires de l'Empire.
Et pour terminer nous souhaitons un bon anniversaire à Benoît Vidal, 60 ans aujourd'hui 26 mars (merci François pour la photographie).
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Benoît Vidal, 14e arrière-petit fils d'Émile Bardine