top of page

À l'école de canonnage et sur les cuirassés les plus modernes

Dans un post précédent (22 mai 2016) nous avons relaté les premiers mois d'Émile comme apprenti marin au 5ème dépôt de Toulon et sur l'Intrépide en Tunisie. Nous allons aujourd'hui évoquer sa spécialité de canonnier ; cela nous amènera à rappeler les risques de ce métier et à remémorer des accidents tragiques comme celui du Maillé-Brézé. et de saluer la mémoire du premier-maître Gaston Bollard, mort pour la France le 30 avril 1940.

Après son retour de la campagne de Tunisie, Émile rejoint le 18 octobre 1881 la division de Toulon et se retrouve logé au 5ème dépôt, avec les corvées et les exercices habituels. Puis le 3 février 1882 il embarque sur le Souverain, un magnifique trois-ponts mis à l'eau en 1819, qui fut un temps vaisseau amiral de l'escadre de la Méditerranée. Ce dernier des vaisseaux à voile fut transformé en vaisseau à hélice pour une navigation mixte voile-vapeur en 1854. Il fut enfin armé avec une artillerie spéciale pour devenir l'école des apprentis-canonniers.

Le vaisseau école de canonnage Souverain

Émile a dû se montrer assez intelligent car la marine optimise l'emploi de ses jeunes appelés. Une sélection s'opère sur des critères de santé, d'aptitude et d'intelligence. Les plus doués sont dirigés vers les écoles alors que les autres, ceux qui ne savent ni lire ni écrire, seront "sans spé", soit matelots de pont, soit soutiers. Les spécialités sont nombreuses ; Émile aurait pu partir à l'école des gabiers (maniement des voiles) à Brest ou à l'école des fusiliers à Lorient. Sa destinée sera d'embarquer sur le navire-école des canonniers à Toulon. Les élèves regroupés en 8 escouades d'apprentis-canonniers recevaient le brevet de canonniers-auxiliaires après quatre mois d'école et un examen de sortie. Les meilleurs, et ce fut encore le cas d'Émile, étaient gardés à bord pour quatre mois supplémentaires et un examen, d'où ils sortaient avec le brevet de canonnier. Brevet en poche le 1er octobre 1882, Émile a la certitude de ne pas connaître la triste vie des "sans spé" et de bénéficier d'un supplément de solde. Même pendant l'instruction l'apprenti qui touche le but à droit à une prime : prime pour destruction de matériel appartenant à l'État !

Le clin d'œil de Fernand. Pour rire un peu, voici la question à laquelle tout canonnier qui sort de l'école de canonnage doit pouvoir répondre :

Combien de temps le fût du canon met-il pour se refroidir après que l'obus a été tiré ?

La bonne réponse est donnée par Fernand : https://www.youtube.com/watch?v=w0-A06KKzy0

Retours à terre et embarquements alternent . Après l'école il revient d'abord au 5ème dépôt en attente d'embarquement ; il aura quelques affectations de courtes durées sur la Garonne et l'Africain, six mois sur le Magicien, puis deux affectations d'une année chacune sur les cuirassés Trident et Dévastation.

Le pont du Trident, Musée de la Marine à Rochefort

Le Trident, Musée de la Marine à Rochefort

Alors qu'Émile est à bord de la Dévastation, ce cuirassé accomplit une mission de Toulon à Corfou, puis une campagne en Méditerranée orientale avec escales à Alger, La Goulette, Alexandrie, Beyrouth, Smyrne, Le Pirée. Le commandant Le Bourgeois est satisfait des performances du navire : "En ce qui concerne l'artillerie, la Dévastation a fait des tirs à boulets tous les trimestres et l'artillerie lourde s'est révélée excellente." La Marine a cette époque bénéficie d'une avancée technologique considérable avec le perfectionnement des aciers et l'extraction du charbon. Les navires sont équipés de moteurs à vapeur, avec propulsion à hélice ; le blindage d'acier recouvre la coque en bois puis la remplace complètement. Les canons atteignent des calibres de plus en plus gros. La Dévastation possède quatre canons de 34 cm et une cuirasse de 38 cm.

La Couronne vaisseau-école de canonnage

Les progrès de l'artillerie navale étaient tels que le brevet de canonnier n'était valable que pour six ans. Émile, après ses cinq années de service décide de rester dans la Marine nationale et signe un nouvel engagement en mars 1886. Pour maintenir sa compétence de canonnier il dut se recycler à deux reprises à bord de la Couronne qui succède au Souverain comme école de canonnage, une première fois alors qu'il était quartier-maître du 1er octobre 1886 au 1er février 1887, puis une seconde fois avec le grade de premier-maître, du 4 mars 1894 au 1er juillet 1894.

Un métier à risque - Des tragédies. Émile, tel que l'on connu ses petits enfants à Jaujac, était un peu dur d’oreille ; ils nous ont raconté qu’ en allant consulter un médecin celui-ci aurait découvert que ses oreilles étaient bourrées de coton. Il est plus vraisemblable que, comme tout artilleur et canonnier, il avait subi de nombreux traumatismes sonores importants lors de ses campagnes et exercices à bord des cuirassés qui lançaient des obus dont le calibre pouvait atteindre 320 mm. On doit se souvenir de quelques grandes tragédies comme l'explosion de la Liberté, le 25 septembre 1911 à Toulon. Émile avait pris sa retraite et il était retourné à Jaujac pour cultiver ses vignes et son jardin. Il avait eu l'occasion de rencontrer un jeune du pays, Camille Vidal, natif de Lalevade, et il l'avait orienté à s'engager dans la Marine. Camille était à Toulon depuis deux ans lors de la tragédie de la Liberté. Il était embraqué sur le cuirassé garde-côtes Henri IV. Par chance il n'est pas à proximité de la Liberté ce jour-là. C'est à 5 heures 33 le matin du 25 septembre 1911 qu'un feu se déclare dans les soutes avant tribord après une triple explosion. L'alerte est donnée, les secours s'organisent mais on n'arrive pas à contenir l'incendie qui s'étend. A 5 heures 54 c'est l’explosion simultanée des 735 obus de 19 mm et des 4 600 obus de 65 et 45 mm. Elle ébranle toute la rade de Toulon et l'on croit à un tremblement de terre. Un immense panache de fumée jaune et noire s'élève à 200 mètres dans le ciel. Cette tragédie fera plus de 250 morts et 300 blessés sur ce navire et ceux qui sont situés à proximité. Quelques années plus tard Camille épousera la fille d'Émile, Hélène. Camille et Émile durent évoquer à plusieurs reprises cette tragédie, ayant peut-être quelques connaissances communes à bord.

Catastrophe du cuirassé Liberté.

La mémoire de Gaston Bollard, mort pour la France, et la tragédie du Mailllé-Brézé.

Au détour d'une conversation, Henriette, ma tante, m'a révélé, il y a peu de temps, l'histoire tragique de son père, le premier-maître mécanicien Gaston Bollard. Je n'avais jamais entendu parlé de ce drame, j'étais sidéré. Construit à Saint-Nazaire en 1933, le contre-torpilleur Maillé-Brézé est à l'escadre de la Méditerranée lorsqu'il est il est envoyé le 9 avril 1940 pour participer à la campagne de Norvège. Le 30 avril 1940 il est en rade de Greenock, en Écosse ; à 14 heures 15 une torpille se met à feu accidentellement touchant la teugue, partie avant du navire. Un incendie se déclare et, avec le risque d'explosion, l'ordre est donné d'évacuer le navire à 15 heures 15. Cependant des marins, en particulier les mécaniciens de la salle des machines, restent emprisonnés à l'intérieur.

Incendie sur le Mailllé-Brézé, après la mise à feu accidentelle d'une torpille.

Vers 19 heures 30 l'incendie est maîtrisé par les pompiers de Greenock, avec les marins toujours captifs de l'épave. Ils espèrent encore et communiquent avec les sauveteurs qui sont à l'extérieur. Mais, vers 20 heures, alourdi par la masse d'eau des pompes à incendie, le navire s'enfonce ; Gaston attend la mort, il pense à sa famille. Le Maillé-Brézé sombre par 12 mètres de fond : l'accident a fait 25 morts ou disparus et 48 blessés. Gaston repose au cimetière de Brison-Saint-Innocent, près du lac du Bourget en Savoie ; il reçoit la Légion est d'Honneur et la Croix de Guerre 39-45. Henriette a 8 ans et reste avec sa mère, sa sœur et son frère, à Toulon.

Le mémorial aux marins des forces françaises à Greenock, Écosse.

Le monument aux morts de Brison-Saint-Innocent.

Gaston Bollard Henriette Bollard et Raymond Vidal

Terminons sur une note plus gaie : Henriette se marie en 1954 à Toulon avec le plus jeune des petit-fils d'Émile, Raymond Vidal, et ils eurent... beaucoup d'enfants et beaucoup de petits-enfants et arrières-petits-enfants : Ludovic, Thomas, Florian, Laurianne, Laura, Killian, Kally, Chloé, Alice, Hugo, Noé, Mélanie, Camille, Cédric, Guillaume, Baptiste, Pauline ! (voir les arbres généalogiques sur ce blog)


Posts à l'affiche
Revenez bientôt
Dès que de nouveaux posts seront publiés, vous les verrez ici.
Posts Récents
Archives
Rechercher par Tags
Retrouvez-nous
  • Facebook Basic Square
  • Twitter Basic Square
  • Google+ Basic Square

© 2023 by Name of Site. Proudly created with Wix.com

  • Facebook App Icon
  • Twitter App Icon
  • Google+ App Icon
bottom of page