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Le train pour Jaujac ? Trop tard...


Émile débarque de l'Alouette pour monter à bord de l'Annamite le 7 novembre 1889. Il sera sur ce transport de l'État jusqu'au 15 décembre 1889, date à laquelle il est affecté à la Division navale de Toulon pour une durée de 7 mois (jusqu'au 15 juillet 1890). Tout ceci est inscrit sur son registre matricule conservé aux archives de Toulon. Cette nouvelle affectation correspond en partie à un congé de fin de campagne qui va lui permettre de séjourner à Jaujac et de se marier avec Célina Chabert. Dans le post du 5 octobre nous avons vu comment se passait le voyage à bord des transports de l'État de Toulon vers la Cochinchine. Pour le voyage de retour les troupes n'ont plus la même allure : la Cochinchine rend à la France un grand nombre de malades pour lesquels ce mois de mer est tout sauf une croisière plaisante. C'est de fait en grande partie pour ces rapatriés malades que les transports type Annamite ont été conçus. L'équipage de l'Annamite est composé de trois cents hommes plus un état-major d'une quinzaine d'officiers. Il peut embarquer plus de mille passagers : ce sont des troupes et leurs chevaux, des malades, des blessés ou des convalescents ainsi que leurs officiers, mais aussi des civils et leurs familles ou des colons désargentés. Il dispose d'un hôpital permanent dans la batterie haute pouvant accueillir 136 malades et d'un grand hôpital dans la batterie basse pouvant accueillir 176 malades et convalescents. Pour Émile cela fait 960 jours sur les mers, les outre-mers et les fleuves, une aventure des sources de l'Ardèche aux rapides du Mékong accomplie dans la discrétion et la simplicité mais qui vaut largement un Vendée-Globe.

Transport de l'État type Annamite : belle photographie du Vinh-Long dans la rade de Toulon

Le commentaire d' Émile.

"Dès mon retour de la mission au Cambodge je savais que je devais embarquer sur la prochaine rotation d'un transport pour rentrer à Toulon. Je m'empresse de préparer mon retour et d'abord d'envoyer une carte postale à Célina :

Mademoiselle Célina Chabert

Jaujac

Bonjour affectueux de Cochinchine. Tout va bien ici. Il se pourrait bien que je sois à Jaujac

pour la Noël. J'espère que vous allez tous bien, amitiés à tous. Émile.

Carte postale de Mytho.

Je fais aussi quelques achats de souvenirs comme ce coffret en laque de Chine que j'ai trouvé sur le marché flottant de Long Xuyen lors d'une escale de l'Alouette ; je le réserve pour Célina. Deux semaines avant l'embarquement je suis convoqué pour la visite médicale. Celle-ci est très sévère car on traque les porteurs du choléra : une épidémie à bord serait catastrophique. À la moindre suspicion on est éliminé de l'embarquement et le séjour en Cochinchine est alors prolongé de deux ou trois mois. Chastagner quant à lui est atteint par le paludisme, il fait crise sur crise depuis un mois et demi et il a perdu 13 kg. Il devait rester encore un an à bord de l'Alouette, mais le médecin du bord a décidé son rapatriement sanitaire. Nous ferons donc ensemble le voyage.

Coffret en laque de Chine pour Célina

Enfin l'embarquement : deux infirmiers aident Chastagner à monter à bord et l'installent dans l'hôpital de la batterie haute tandis que je m'occupe de ses bagages. L'Annamite largue les amarres puis s'éloigne cap au Sud dans la mer de Chine vers Singapour. Je vois disparaître la Cochinchine à l'horizon dans un mélange de nostalgie de ce temps passé dans ce beau pays et d'impatience de revoir ma patrie. Avec mon grade de second-maître j'ai droit à une cabine partagée avec trois autres seconds-maîtres dans la batterie haute. Chaque jour je fais une visite à Chastagner qui ne va pas bien. C'est pour moi l'occasion de rencontrer un jeune docteur qui passe de temps en temps pour lui faire prendre des traitements. Intrigué par les parements de velours vert de son uniforme, je hasarde quelques questions ; dans les jours suivants il me fera souvent la conversation au hasard de nos rencontres. Il a un nom à rallonge, le Dr Tubert de la Solanome, et il est aide-pharmacien sur l'Annamite. Intarissable sur les voyages autour du monde de la Bonite et de l'Uranie, il me conte les découvertes des naturalistes médecins ou pharmaciens de la Marine. Dans son office où tout est rangé dans un ordre parfait, il me montre une sorte de coffre-serre rempli de plans d'orchidées et de camélias qu'il doit faire parvenir à Cherbourg pour le jardin du nouvel Hôpital maritime. Il me fait ouvrir un autre coffre et s'amuse de ma frayeur : celui-ci est rempli de scorpions d'Asie, certains de 15 centimètres de long, qu'il doit rapporter au Muséum national d'histoire naturelle.

Il y a deux jours que nous avons fait escale à Colombo et c'est le calme plat sur l'Océan indien. Il n'y a pas le moindre vent et pourtant l'Annamite file à 13 nœuds : quel progrès, la propulsion à la vapeur, un vrai miracle. 19 novembre 1889, 6 heures du matin, le soleil est radieux, toujours pas de vent : nous sommes un détachement au garde-à-vous sur la dunette. Une grande planche est posée en travers du bastingage, en porte a faux, au dessus de la mer. Un drapeau tricolore est étendu sur un corps, lui-même enveloppé dans plusieurs carrés de toile grise cousus. L'aumônier récite les prières de l'absoute et toutes les têtes se découvrent. Au commandement la planche bascule, et on entend le bruit sourd de la chute dans l'eau. Le clairon sonne au mort et après une minute de silence chacun regagne son poste. C'est Chastagner qui est mort hier. Quelques heures avant de sombrer dans le coma il m'a demandé d'aller rendre visite à son père à Langogne en Lozère et de lui porter ses effets personnels.

L'Annamite arrive à Toulon le dimanche 15 décembre. Sitôt débarqué j'ai nombre d'obligations à accomplir au bureau de la solde, chez le maître-tailleur pour faire confectionner un uniforme, à l'ambulance de l'arsenal pour une visite médicale de fin de campagne. J'obtiens enfin la signature de mon titre de permission le lundi 23 décembre au matin, jour de mon anniversaire ! Plus de temps à perdre, je file à la gare avec tout mes bagages. Pas de chance je manque lorsque j'arrive sur le quai je vois la queue du train de Marseille qui s'éloigne dans un nuage de vapeur ; il me faut patienter encore une heure et demi pour le train suivant. À Marseille le mistral s'engouffre dans le hall de la gare et me transperce : je ne me souvenais pas qu'il pouvait faire si froid ici. Après plusieurs changements de trains j'arrive à huit heures du soir à la gare de Niègles-Prades, mais pas question de faire encore deux heures de marche dans la nuit noire et froide de décembre pour aller à Jaujac. Je réussi à me loger à l'hôtel terminus, et j'espère trouver demain matin une voiture qui me montera à Jaujac pour réveillonner.

Gare de Niègles-Prades et hôtel terminus sur la place de la gare (aujourd'hui Lalevade)

Commentaire de Dominique.

Arrivé tout juste pour Noël à Jaujac, on peut imaginer les joyeuses retrouvailles avec sa famille et ses amis. Mais pas seulement, car les archives départementales de l'Ardèche nous renseignent précisément sur son mariage qui fut enregistré à la mairie de Jaujac le 29 janvier 1890. Il a fallu faire très vite pour organiser ce mariage. En effet, les futurs époux ne se sont pas vus depuis près de trois ans : il leur a fallu s'accorder et se décider, puis obtenir le consentement des parents (Célina est mineure), mais aussi de l'administration de la Marine (demande d'autorisation obligatoire à cette époque), et en même temps faire publier leur projet de mariage par la mairie. Tout cela en un mois, moins de temps que le voyage de Saigon à Jaujac !

"L'an mil huit cent quatre vingt dix, le vingt-neuf du mois de janvier à cinq heures du soir [c'est un mercredi] par devant nous soussigné Joseph Brun adjoint délégué de Monsieur le Maire empêché... sont comparus publiquement et dans la maison commune :

1e Bardine Émile Emmanuel Gustave profession de 2nd maître canonnier, né le 23 décembre 1860 à Jaujac, domicilié à Jaujac, fils majeur et légitime de Jacques Joseph Emmanuel Auguste Bardine, propriétaire, et de Marie Magdeleine Peyreplane ménagère, ledit comparant ayant le consentement de ses père et mère ici présents et muni en outre de l'autorisation à mariage qui lui a été délivrée par le conseil d'administration de la Division des équipages de la Flotte de Toulon en date du 23 janvier courant,

2e Chabert Marie Augustine Célina, profession aucune, née le 27 janvier 1870 à Jaujac [elle a eu 20 ans deux jours avant son mariage], domiciliée à Jaujac, fille mineure et légitime de Auguste Chabert, profession de cafetier, domicilié à Jaujac, et de Céline Berger, profession de ménagère, domiciliée à Jaujac, ladite comparante ayant le consentement de ses père et mère ici présents.

Nous pouvons lire aussi que les publications ont été faites le 19 et le 26 janvier courant devant la principale porte de la Maison-commune. Les témoins sont Bardine Louis, négociant, âgé de 44 ans (cousin germain d'Émile), Combe Auguste, 65 ans, épicier, Champalbert Auguste, 51 ans, serrurier et Salauze Auguste, 37 ans, cafetier (non parents des conjoints). Toutes ces personnes ont signé le registre à l'exception de la mère du conjoint qui a déclaré ne savoir signer. Celle-ci, Marie Magdeleine Peyreplane, est née à Jaujac où son père était propriétaire.

Pour terminer je dois dire que je suis très curieux de savoir quel a été le menu du dîner du mercredi 29 janvier 1890, servi au café Chabert. Je n'ai pas pu consulter les registres paroissiaux pour rechercher la date d'une cérémonie religieuse en l'église de Jaujac.

Je rajoute ceci : ne manquez pas le train pour Jaujac, la date limite pour l'inscription à la cousinade du 27 mai, c'est le dimanche 22 janvier 2017, avec une tolérance jusqu'au 29 janvier.


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