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Danse hongroise n°5

En ce début d'année 1890, pendant son congé de fin de campagne de Cochinchine, Émile épouse Célina Chabert au village de Jaujac (post du 19 janvier dernier). Puis le 16 juillet 1890 il va rejoindre Toulon et l'escadre de la Méditerranée pour embarquer sur le contre-torpilleur Faucon ; il y restera un peu plus de trois ans (1er octobre 1893).

L'escadre en rade de Toulon, effet de mistral. François Nardi, 1895

C'est au début de 1894 que le couple Émile-Célina rentre à Jaujac et s'installe vraisemblablement au café Chabert chez les parents de Célina ; car un heureux évènement est attendu. Ce sera la naissance de leur fille Hélène Bardine, le 24 février. Mais le service et les obligations dans la Marine n'obéissent pas aux impératifs familiaux ; une nouvelle affectation est planifiée pour Émile sur le vaisseau école des canonniers pour le maintien de son brevet de canonnier (voir le post du 13 septembre 2016). A peine une semaine après la naissance d'Hélène il quitte donc Jaujac et va s'embarquer sur la Couronne du 4 mars au 1er juillet 1894. Célina restera quelques mois à Jaujac avant de confier Hélène à une nourrice au hameau de Sénentille et de retourner à Toulon.

Par la suite Émile aura une succession d'affectations sur les cuirassés et croiseurs les plus modernes de l'époque : Courbet, Redoutable, Magenta, Amiral Charner et enfin Latouche-Tréville. Ces navires sont basés à Toulon et sont la plupart du temps à quai en dehors de quelques jours d'exercices ou de manœuvres en mer. Chacun de ces embarquements sera entrecoupé d'affectations à terre au 5e dépôt à Toulon jusqu'à son départ de la Marine, en mars 1906, à la retraite. En 1902 Hélène âgée de 8 ans et demi eut le bonheur de voir l'arrivée de son frère Lucien qui fut, lui aussi, confié à la nourrice pour rester au pays natal.

Les embarquements d'Émile sur les cuirassés les plus modernes.

En avril 1901 Émile a été promu premier-maître canonnier : il est au sommet de sa carrière. Sur les croiseurs Amiral Charner et Latouche-Tréville il devait tenir l'emploi de capitaine d'armes, celui que l'on surnomme le bidel (du nom d'un célèbre dompteur) et qui veille avec rigueur à la discipline de l'équipage. Sur les gros cuirassés d'escadre dix à douze maîtres composent le Petit État-major que réunit l'officier en second à l'arrière, chaque jour à seize heures : maître de manœuvre, maître de mousqueterie (canonnier), maître de timonerie, maître-mécanicien, maître-calfat (étanchéité), maître-voilier, maître-armurier, maître-magasinier, maître-commis (la cambuse et l'achat des vivres). Ces officiers mariniers constituent un rouage essentiel pour que fonctionne le bâtiment selon une discipline rigoureuse. Ils veillent sur le matériel de l'État comme sur la prunelle de leurs yeux. Ils règnent (en maître) sur tout un petit monde. Leurs privilèges et leurs prérogatives, mais aussi leur expérience et leur ancienneté, leur donnent un pouvoir qu'ils savent utiliser avec finesse et avec rudesse le plus souvent. Le capitaine d'armes est le plus ancien des maîtres-canonniers ou des maîtres-fusiliers. Il assure la police et il est partout, de jour comme de nuit. Il surveille les entrées et sorties, inspecte les tenues des sortants ; au retour, gare à ceux qui rentrent éméchés ! Le capitaine d'armes les voit venir de loin et les repère immédiatement : il les inscrira sur le carnet de punitions. Il est le véritable dompteur de l'équipage, des jeunes matelots qui n'auraient pas bien assimilé la discipline à bord comme des plus anciens, avilis ou corrompus, qui glisseraient sur de mauvaises pentes. Il organise les corvées, les cérémonies et la garde d'honneur. D'où, peut-être, pour Émile, cette déformation professionnelle qui fit de lui un grand-père très sévère et autoritaire mais aussi travailleur infatigable.

Le lavage du pont

Le commentaire d'Émile :

Au début d'octobre 1893, Toulon se préparait à recevoir la visite de l'escadre russe. Depuis quelques semaines la Préfecture maritime envoyait ses notes de services et les officiers de l'arsenal et du 5e dépôt redoublaient d'instructions pour la remise à niveau des installations et pour les manœuvres d'entraînement. Le jour venu, le 13 octobre 1893, l’animation était à son comble. Célina était avec moi. Nous n'avions jamais rien vu de pareil à Toulon : toute la ville était pavoisée de drapeaux et oriflammes aux couleurs de la France et de la Marine russe : pour celle-ci c'est la croix de St André bleue sur fond blanc. Dès huit heures du matin nous avions pu prendre place à la pointe de Balaguier d'où nous pouvions apercevoir l’escadre russe à l’entrée de la Grande rade ; elle fut saluée de 15 coups de canon. Le navire-amiral de la flotte russe rendit immédiatement la politesse par 15 coups de canons. Un peu plus tard, à l’entrée de la Petite rade, l'escadre était accompagnée d'une flottille considérable de yachts, bateaux de pêche, pointus avec leur voile triangulaire gonflée et des bateaux de toutes sortes.

Visite de l'escadre Russe à Toulon, le 13 octobre 1893, par Blinoff

Dans les jours suivants les journaux relataient les réceptions officielles, et les marins et officiers russes se répandaient dans les rues en déambulant dans leurs plus beaux uniformes de parade. La foule des toulonnais leur faisait de véritables ovations et s'approchait d'eux pour leur témoigner de marques touchantes de sympathie. Pendant cette période de fête, la musique des équipages de la flotte et la musique de l’escadre russe se retrouvaient en fin de journée sur la place d’armes pour offrir des concerts aux amateurs et aux curieux qui s'y pressaient en foule compacte. Un soir que nous y étions, Célina et moi, nous fûmes portés par les mélodies de la musique de l'escadre russe et tandis que je détaillais les décorations et casquettes des marins-musiciens, je sentis la main de Célina se poser sur mon bras pour quémander un baiser : l'orchestre jouait la danse hongroise n°5 de Brahms, (cliquez pour écouter en lisant la suite). Je promis à Célina que nous irions à la prochaine occasion au grand théâtre de Toulon, où j'avais vu que le programme affichait Carmen de Bizet et Nabucco de Verdi.

Théâtre municipal de Toulon, construit par Léon Feuchère en 1862

J'ai quelques souvenirs marquants de mon embarquement sur le cuirassé Courbet notamment de ce jour d'octobre 1895 où un canonnier fut tué par la chute d'un monte-charge dans une soute, ; et aussi en novembre de la même année où notre navire s'échoua sur un fond mou sablonneux en rentrant aux Salins d'Hyères par la passe de la Badine. Pendant cette affectation il y eut peu de mouvements sauf en septembre 1896 lorsque le Courbet, intégré à la division du Levant, appareilla en Méditerranée orientale et fit des escales à Syros (iles des Cyclades en Grèce), à Mytilène (Turquie) et à Smyrne (Izmir, Turquie), avec retour à Toulon en décembre.

En septembre 1897 je rejoins le Redoutable qui fit quelques sorties avec l'escadre en manœuvre. C'est au mois de mai 1898 que j'appris avec tristesse le décès de mon père et je m'organisai pour aller dès que possible voir ma mère et me recueillir sur la tombe familiale. Brutalement, en septembre de cette année-là, les permissionnaires furent rappelés sur le Redoutable ; celui-ci ainsi que le Courbet, la Dévastation et d'autres cuirassés, furent envoyés à l'escadre du Nord. Le Redoutable appareilla le 23 septembre pour rejoindre Brest. L'escadre en alerte multiplia les exercices et sorties en mer jusqu'en novembre à cause de l'affaire de Fachoda au Soudan, un incident diplomatique sérieux entre le France et la Grande Bretagne. Les troupes françaises, conduites par le capitaine Marchand, étaient installées à Fachoda mais à l'arrivée des anglais la France dut leur céder la place. Encore une fois la perfide Albion, hautaine et de mauvaise foi, infligea une profonde humiliation aux Français. Cependant l'affrontement fut évité. Au carré des seconds-maîtres les discussions étaient animées contre ces foutus anglais ; on ne manquait pas d'évoquer la bataille de Trafalgar lors de laquelle un vaisseau français du nom de Redoutable engagea un épique combat de mousqueterie et de canonnade contre le Victory, au cours duquel l'amiral Nelson fut tué et le valeureux Redoutable coulé.

Chargement de la pièce de 270 mm sur l'arrière du Redoutable.

Le 20 mars 1899, peu avant de quitter le Redoutable, j'étais promu premier maître canonnier de 2ème classe ; aussi dès le prochain embarquement j'aurai le privilège d'être logé en chambre avec un autre premier-maître : fini le hamac à l'avant du pont de la batterie, et, honneur suprême, j'aurai droit au port du sabre. De plus sur les navires de guerre. j'aurai sur ma table du poste des maîtres une carafe de cambusard (le vin rouge) personnalisée à mon nom.

Quelques jours après cet embarquement sur le croiseur-cuirassé Amiral Charner, Célina m'apprend qu'une nouvelle naissance s'annonce chez nous. Elle part à Jaujac pour passer l'été et attendre la naissance, tandis qu'Auguste, son père, s'éteint le 25 juillet 1902. Au début d'octobre c'est à bord que j'apprends la naissance de mon premier fils ; je suis tellement heureux et fier, et tellement désolé de ne pouvoir être à Jaujac auprès de Célina et d'Hélène. Nous avions décidé de lui donner le prénom d'un oncle de Célina, Lucien ; il est né le 7 octobre 1902 à deux heures de l'après-midi ; c'est le cafetier, Jovitte Valette, du bourg de Jaujac, accompagné de l'instituteur, Camille Teyssier, et du garde-champêtre, Achille Durand, qui ont présenté l'enfant au maire, Victor Chabaud. J'obtins quand même assez vite une permission pour aller à Jaujac.

Pour finir ma carrière dans la marine je fus affecté pendant 7 mois sur le croiseur-cuirassé Latouche-Tréville, un navire presque identique à l'Amiral Charner, qui était en réserve à Toulon. Deux ans après mon départ, en 1908, il y eut sur ce croiseur une explosion d'un canon de 195 mm lors de l'exercice aux Salins-d'Hyères ; cet accident dramatique fit 14 morts et de nombreux blessés. Le ministre de la Marine dans le gouvernement Clémenceau dut démissionner. Je n'étais alors plus dans la Marine mais cet évènement me toucha autant que si j'étais toujours sur ce navire. Pendant plusieurs semaines mes nuits furent agitées car le second-maître Padellec et plusieurs de mes matelots faisaient partie des victimes.

Les derniers embarquements d'Émile.

Petite correction du post du 17 janvier 2017 :

Sur le post du 17 janvier j'ai indiqué par erreur que Magdeleine Peyreplane, la mère d'Émile, était née à Burzet. En fait j'ai trouvé aux archives de l'Ardèche qu'elle était native de Jaujac comme son père, Augustin Peyreplane.


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